Révoltes au Moyen Orient : l'Histoire retiendra le rôle clef des réseaux sociaux


par Brigitte Ades - Mercredi 23 Février 2011

Les révoltes dans les pays autocratiques arabes des derniers mois n'ont pas mené à une révolution à l'iranienne, comme on pouvait le craindre. Grâce aux réseaux sociaux sur internet, les modérés ont, pour la première fois, pu exprimer leurs vues et organiser une résistance civile sans que des extrémistes ne prennent la tête de leur mouvement. S'il y a eu une révolution, elle s'est produite dans la préparation et l'organisation de la résistance, au sein d'internet et à travers les réseaux sociaux.

Sans Twitter et Facebook, les jeunes tunisiens et égyptiens n’auraient pu aussi aisément éviter la censure, se concerter, et organiser leur révolte. Avant l’apparition de ces nouveaux outils, l’opposition dans le monde arabe, soumise aux régimes autocratiques, n’avait que les Mosquées ou bien les cellules secrètes pour s’exprimer. Le plus souvent, elles produisaient des mouvements très radicaux dans lesquels les modérés ne se reconnaissaient pas. Ces structures pyramidales, fortement hiérarchisées, n’encourageaient pas le dialogue : les affidés écoutaient le plus souvent passivement une prêche ou un discours sans intervenir. Pour agir, les instructions venaient du haut, sans possibilité de contestation.

Sur le web, un processus éminemment démocratique est enclenché.



Dans le monde arabe, internet a donné une voix aux modérés, qui composent la majorité des citoyens. Désormais, ce n’est plus seulement l’intelligentsia ou des leaders charismatiques qui forment l’opinion, c’est le peuple lui-même qui a trouvé sa plateforme. Grâce à Facebook et Twitter, on assiste à l’ avènement d’une égalité fédératrice: Doté du pouvoir de poster, en toute immunité, ses commentaires, de plébisciter ou de répondre à des idées par un simple clic, et surtout de connaitre le nombre de gens qui partagent ses idées, chaque individu souhaite voir sa volonté traduite dans la réalité politique. C’est ce qui a donné, à tous ces gens, jusqu’alors non politisés, le courage de descendre, pour la première fois, dans la rue.

Tunisie / Égypte : un remarquable exemple de coopération.



Les révoltes égyptiennes et tunisiennes sont le fruit d’échanges soutenus sur Facebook. Pendant deux ans. Les jeunes des mouvements de libération ont ainsi échangé, entre les deux pays, des conseils, allant de simples moyens de protection contre les tirs de balles en plastique, ou la toxicité des gaz lacrymogènes - par l’application de vinaigre et d’oignons sous les foulards - à de véritables tactiques de résistance civile pacifique. Les organisateurs ont appris, par exemple à remplacer, dans les premiers rangs par rotation régulières, les blessés et les affaiblis. C’est ainsi que quelques milliers de jeunes égyptiens ont pu, dès les premiers jours des affrontements, au Caire, tenir tête pacifiquement aux forces de police fortement armées, notamment lorsque celles-ci tentaient de les repousser sur le Pont Kasr al-Nile, une bataille considérée par les experts comme le véritable pivot de la révolte égyptienne (note 1) Ces tactiques de résistance civile sophistiquées se démarquent des pratiques obsolètes utilisées par les membres de l’opposition du passé. Elles s’inspirent des conclusions d’universitaires américains, tels que l’ex professeur à Harvard, Gene Sharp, pressenti pour un prix Nobel, ou des experts de l'international Center on Non Violent Conflicts, de Washingtonm source précieuse sur les methodes employées et les exemples de révoltes civiles réussies.

La mobilisation en masse.


Internet a aussi permis aux organisateurs d’avoir l’assurance que leurs contestations seraient suivies par un nombre substantiel de manifestants qui partageaient les mêmes vues et acceptaient de descendre dans la rue. Lors des premières manifestations en Egypte, un spécialiste marketing chez Google, Wael Ghonim , âgé de trente-et-un ans, raconte sa jubilation de voir 50. 000 inconnus à ses cotés scander le slogan qu’il avait posté sur internet quelques heures auparavant. Une « sensation extraordinaire » selon lui.

Après les « clubs » révolutionnaires français du 18ème Siècle, l’appartement « Facebook » de Tahrir square.
En observant de ses fenêtres qui surplombent Tahrir square, l’ampleur des manifestations, Pierre Sioufi, quinquagénaire égyptien, a eu l’idée de mettre son appartement à la disposition de jeunes qui réclamaient le droit de se connecter. Dans son habitation , rebaptisée « Facebook », une quarantaine de manifestants, se sont relayés pour organiser, en permanence, leurs actions via internet, une coordination facilitée par la générosité du propriétaire, fournissant matériel technique, nourriture à profusion et matelas à même le sol. On retrouve, à échelle réduite, les mêmes revendications prônant le droit de se réunir, d’échanger et d’organiser des campagnes politiques qui apparaissent simultanément au Yémen, à Bahreïn, en Libye, en Jordanie et en Iran.

Internet, un pouvoir qui dépasse sans cesse ses limites


Internet peut aussi cependant se retourner contre les manifestants. N’a-t-il pas, permis, en Juin 2009, aux autorités iraniennes d‘identifier les meneurs et de les réprimer ? De la même façon, tout récemment, en consultant les sites, les autorités en Libye et à Bahreïn ont sans doute pu prévoir le lieu et l’ampleur des manifestations et organiser leur riposte en conséquence. Cependant internet est, avant tout, un formidable moyen de pression contre les gouvernements. Au début des révoltes, en Egypte, l’administration Moubarak a tenté de bloquer les accès internet dès le 26 Janvier, mais sans succès, puisque les opérateurs géants tels que Google ou Twitter ont réussi contourner le blocus en fournissant les accès via les réseaux téléphoniques. Internet a ensuite été rétabli en Egypte, le 2 Février.

Malgré les espoirs suscités par la Tunisie et l’Egypte des questions persistent.


Les réseaux sociaux continueront-ils à jouer leur rôle de fédérateur et d’incubateur d’idées ? Seront-ils suffisants pour accompagner les reformes sociales nécessaires ? Contribueront-ils à l’organisation d’une société civile viable ? Il est encore tôt pour répondre mais certains faits tendent à faire pencher la balance vers l’affirmative. Déjà les récents mouvements pacifistes marocains réclament une augmentation de leurs droits et une diminution des prérogatives du Roi Mohammed VI. Afin de ne laisser le pays se déstabiliser, à l’image de ses voisins, le roi du Maroc vient d’instaurer un conseil économique et social chargé de passer les réformes, « à la vitesse supérieure ». Légiférer vers plus de démocratie n’est-ce pas l’étape obligatoire pour les régimes autocratiques désirant évoluer pour rester en place?

par Brigitte Ades

 
  • Du même auteur
Brigitte Ades
La France, les OGM, et les Etats-Unis
Un entretien premonitoire sur l'avenir du Monde arabe
Entretien avec Tony Blair
Selon les mémos secrets américains, le Pakistan serait un des pays les plus dangereux de la planète.
L'OTAN entre nouvelles menaces et nouvelle donne internationale
Etats-Unis : l'appel du Pacifique
Le rôle pivot de l'armée égyptienne dans l'issue de la crise actuelle.
Révoltes au Moyen Orient : l'Histoire retiendra le rôle clef des réseaux sociaux
Nouvelles démocraties au Moyen-Orient : l'enjeu économique
Crise alimentaire mondiale : les moyens proposés par le G20 seront-ils suffisants ?
Crise nucléaire au Japon : repenser nos systèmes de fonctionnement.
Droit d'ingérence ou devoir de conscience : le succès de l'intervention française en Côte d'Ivoire.
Enfin un peu d'optimisme : contrairement aux idées reçues, la qualité de la vie, dans le monde, s'améliore.
Les banques dans le collimateur de l'Union Européenne.
En direct du G8 : internet, vers une réglementation mondiale ?
Escalade des révoltes en Syrie : le pays basculera-t-il dans le chaos ?
Dangers en haute mer : menaces sur les Océans
Le déficit de notre balance commerciale se creuse, reflétant les maux de notre économie
Interview avec Larry Summers : plaidoyer pour la relance
La reprise occidentale et l'obstacle chinois
En 2012, devenez cyberphilanthrope !
Stratégie de défense américaine : nouveaux défis, nouvelle donne.
L'élection qui compte, cette année, pour nos industries, n'aura pas lieu en France, ou aux Etats-Unis, mais en Chine, à l'automne
Mort de Ben Laden, le double jeu du Pakistan
L'auto édition : la fin du tabou
Les clefs du Thatchérisme
Une chance historique pour Tsipras
Lors du référendum en Grande Bretagne, le pragmatisme l'emportera-t-il sur les passions ?
La fin du Royaume-Uni
Le Président que l’on n’attendait pas
Crimes de guerre : La fin de l’impunité
L’Opéra Garnier s’ancre dans notre époque
Ukraine : Comment finir une guerre sans fin ?
The supreme court's dilemma
Encounter with Jim Dine regarding his exhibition in Venice for the BIennale 2024

Les articles les plus consultés

Encounter with Jim Dine regarding his exhibition in Venice for the BIennale 2024
The supreme court's dilemma
La décision de la cour suprême sur l'inégilibilité de Trump: une vision européenne.
Le démantèlement de l’Institut de Sûreté Nucléaire serait une erreur inexcusable
Ukraine : Comment finir une guerre sans fin ?
Les trois conséquences imprévues et alarmantes des législatives
Book review: A brief History of Equality by Thomas Piketti
Pour en finir, sans en avoir l’air, avec la démocratie
voir plus d'articles
Les trois conséquences imprévues et alarmantes des législatives
Book review: A brief History of Equality by Thomas Piketti
Pour en finir, sans en avoir l’air, avec la démocratie
Book review on Exiles from Paradise
L’Opéra Garnier s’ancre dans notre époque
Crimes de guerre : La fin de l’impunité
Réviser l’article 16 de notre Constitution, une urgence démocratique
Les démocraties, par leur simple existence, sont un problème pour les tyrannies.
La fin du Royaume-Uni
Du bon usage de la fiscalité en faveur de l’investissement.
Le Président que l’on n’attendait pas
Lors du référendum en Grande Bretagne, le pragmatisme l'emportera-t-il sur les passions ?
Une chance historique pour Tsipras
Les clefs du Thatchérisme
L'auto édition : la fin du tabou
Mort de Ben Laden, le double jeu du Pakistan
L'élection qui compte, cette année, pour nos industries, n'aura pas lieu en France, ou aux Etats-Unis, mais en Chine, à l'automne
La France, les OGM, et les Etats-Unis
Stratégie de défense américaine : nouveaux défis, nouvelle donne.
En 2012, devenez cyberphilanthrope !
La reprise occidentale et l'obstacle chinois
Interview avec Larry Summers : plaidoyer pour la relance
Le déficit de notre balance commerciale se creuse, reflétant les maux de notre économie
Dangers en haute mer : menaces sur les Océans
Escalade des révoltes en Syrie : le pays basculera-t-il dans le chaos ?
En direct du G8 : internet, vers une réglementation mondiale ?
Les banques dans le collimateur de l'Union Européenne.
Enfin un peu d'optimisme : contrairement aux idées reçues, la qualité de la vie, dans le monde, s'améliore.
Droit d'ingérence ou devoir de conscience : le succès de l'intervention française en Côte d'Ivoire.
Crise nucléaire au Japon : repenser nos systèmes de fonctionnement.
Crise alimentaire mondiale : les moyens proposés par le G20 seront-ils suffisants ?
Nouvelles démocraties au Moyen-Orient : l'enjeu économique
Révoltes au Moyen Orient : l'Histoire retiendra le rôle clef des réseaux sociaux
Le rôle pivot de l'armée égyptienne dans l'issue de la crise actuelle.
Etats-Unis : l'appel du Pacifique
Selon les mémos secrets américains, le Pakistan serait un des pays les plus dangereux de la planète.
L'OTAN entre nouvelles menaces et nouvelle donne internationale
Entretien avec Tony Blair
Un entretien premonitoire sur l'avenir du Monde arabe
Entretien avec Margaret Thatcher
Vous êtes ici > Accueil > Révoltes au Moyen Orient : l'Histoire retiendra le rôle clef des réseaux sociaux
 Présentation du site
 Plus d'articles